Au cinéma Le
Trianon, Les Mauvaises herbes
ont donné le coup
d’envoi du festival
À la mi-août, Verneuil-sur-Avre retrouve
chaque année sa Vache et son Caribou. Et cette année encore, Adbstar-France n’a
pas raté ce rendez-vous en donnant le coup d’envoi du huitième festival.
C’est au cinéma Le
Trianon, jeudi soir 10 août, que fut projeté le film Les Mauvaises herbes du réalisateur Louis Bélanger.
Cette comédie québécoise, jouée par Alexis Martin, Emmanuelle Lussier-Martinez,
Luc Picard, Myriam Côté et Gilles Renaud, est quelque peu déconcertante par ses
premières images. L’histoire fait se rencontrer des personnages hors normes et,
bien vite, entre le comédien qui fuit ses dettes, le vieux solitaire séparé de
son fils et qui pratique la culture illégale du canabis, se tissent des liens
imprévus d’autant que d’autres personnages se retrouvent mêlés à ces relations
soudaines. À la fois cocasse et hilarant, le film hésite entre road movie,
thriller qui se cherche et comédie réaliste.
Le public, relâché
par le climat canadien et ses intonations souvent truculentes, n’a pas boudé
son plaisir. Il a apprécié ce film distingué au festival d’Angoulême et ouvrant
joyeusement celui de la Vache et du Caribou.
*
* *
Quand la France
perdit son Amérique,
par l’écrivain du
terroir Alain Dubos
Alain Dubos, un personnage haut en couleur |
Après avoir salué
l’atmosphère canadienne avec le film Les Mauvaises herbes, Fabien Perucca et son équipe du
festival La Vache et le Caribou sont entrés dans le vif du sujet le vendredi 11
août, à la salle des fêtes, en accueillant le conférencier Alain Dubos pour une
présentation étoffée d’un long épisode de l’Histoire de France : la perte
de l’Empire français d’Amérique, au cours d’une période allant du règne de
Louis XIV à celui de son petit-fils le roi Louis XV. Devant un public fortement
intéressé, ce grand praticien – écrivain émérite du Sud-Ouest – qui a exercé la
médecine humanitaire, notamment en qualité de pédiatre, sur de nombreux
continents (Asie, Moyen-Orient, Afrique, Amérique centrale), a effectué un long
chemin de solidarité qui le conduisit jusqu’à la vice-présidence, pendant six
ans (1981-1987), de Médecins sans Frontières.
Féru de l’Histoire
de la France et soucieux de la vérité, cet homme au langage simple mais imagé a
su captiver une salle attentive et conquise par la construction de la
Nouvelle-France et ces rivalités franco-anglaises où l’homme était souvent
réduit à l’état de monnaie d’échange pour ne pas dire de simple jouet entre les
deux superpuissances européennes d’alors.
S’appuyant sur une
carte de l’Amérique du Nord, il conta le calvaire de ces Français d’Amérique
qui n’abdiquèrent jamais, et ne perdirent pas une once de leur foi envers Dieu
et leur patrie. Familier de la vie de province et auteur de plusieurs romans,
Alain Dubos a su capter l’âme des Acadiens, qui vers la fin du 19ᵉ
siècle ont d’ailleurs adopté le drapeau tricolore rehaussé par l’étoile de
Marie.
Depuis le 1er janvier 1700 jusqu’en 1759, date de la chute du Québec – époque où le plus long
fleuve de France grossi du Missouri s’appelait le Mississippi – la bataille fit
rage. Les Français luttaient à un contre dix mais ne furent jamais trahis par
les autochtones. Ce pays changea sept fois de propriétaire en cent ans, les
Acadiens préférant les Français qui les traitaient en frères plutôt que les
Anglais qui les regardaient comme des étrangers.
Truffant son récit
d’anecdotes, Alain Dubos séduisit la salle, n’hésitant pas à souligner à
plusieurs reprises les déportations dont furent victimes les Acadiens et
concluant sa causerie avec la cession de la Louisiane par Napoléon Bonaparte.
*
Quand l’Histoire s’illustre au théâtre
pour mieux se faire comprendre
Louis XV et Mme de Pompadour réglant le délicat problème de la Louisiane |
Louis XV et le marquis de Maurepas |
Le fantôme de Louis XIV ne suffira pas à convaincre son petit-fils |
Dans la foulée de sa conférence sur l’aventure
tragique de la perte de ses territoires américains par la France, Alain Dubos a
présenté au public vernolien, réuni à la salle des fêtes, une pièce de théâtre
que sa passion de l’histoire l’a obligé à rédiger et jouer.
S’appuyant sur les techniques modernes de
l’enregistrement et de la projection, l’auteur a surtout cherché à restituer
l’événement en saupoudrant la pièce de citations réelles notées dans de
nombreux livres d’histoire. Sa conférence initiale fut d’ailleurs un sérieux
sésame pour mieux suivre ces pages contant l’aventure de notre peuple au
Nouveau Monde. La présence du fantôme de Louis XIV apportant son expérience à
son petit-fils Louis XV empêtré dans ses désirs royaux – mais coincé par la
clairvoyance assidue de la marquise de Pompadour – et sa vie ponctuée de
parties de chasse comme d’escapades amoureuses toutes plus attrayantes les unes
que les autres, n’empêcha pas ce dernier de faire preuve de négligence dans ses
affaires internationales. Louis XV sera aussi impuissant que son grand-père,
qui avait cédé l’Acadie aux Anglais, à reprendre la Nouvelle-France, et le
traité de Paris en 1763 scellera le sort de l’Acadie.
Mise en scène par Daniel Annotiau avec une
conception technique signée par Raphaël Mondon et Lucie Raimbault, laquelle
incarne dans la pièce la belle marquise de Pompadour, Et l’Acadie, Majesté ? fut créée en 2013 au Nouveau-Brunswick.
La participation de Patrice Carpuat en Louis XV et de Raphaël Mondon dans le
double rôle des ministres Maurepas et Choiseul apporta aux personnages toute la
véracité d’une cour royale bien loin du sens des responsabilités qu’exigeait
leur pouvoir.
L’assistance, séduite par le sujet et le jeu des
acteurs, a apprécié cette page d’histoire révélatrice du gouffre dans lequel le
royaume de France perdit son argent et ses dernières illusions en même temps
que ses provinces américaines.
*
* *
Des îles de la Madeleine au pied de la tour
du même nom : la jeunesse québécoise musicalement triomphante
Le quintette en pleine action sur la scène vernolienne |
Succédant le lendemain samedi 11 août au palais
de Versailles où s’était jouée la perte de l’Acadie, le quintette Tradition’Îles
s’est
emparé de la scène de la salle des fêtes de Verneuil pour révéler sa jeunesse,
son talent et sa façon personnelle d’aborder la vie. Cinq jeunes, originaires
des îles de la Madeleine situées au milieu du Saint-Laurent, ont apporté, avec
leurs instruments, les musiques country et l’art libre de danser pour le
plaisir. Plus représentants du tiers état avec leurs costumes de scène
négligés, pantalons aux genoux déchirés et casquette de jockey chaussée à
l’envers, ils ont néanmoins démontré, malgré leur jeune âge encore en quête des
réalités de la vie (ils ont à peine atteint les deux décennies), qu’ils sont
tous habités par la joie de vivre et un talent musical révélateur.
Le quintette, composé de Simon Vigneault, Gabriel
Leblanc, étienne Cormier,
Jean-Sébastien Lebel et évann
Martinet, enchanta le public par sa fougue et son déferlement de notes
échappées au grand galop de son premier album. Et le public l’a récompensé de
vigoureux applaudissements.
*
Quand Jocelyn Pettit offre dans une
séduisante
ambiance familiale la grande classe de son
talent
Jocelyn (à droite) en compagnie (à gauche) de papa à la percussion et (au centre) de maman au piano |
Samedi 12 août, l’assistance de la salle des
fêtes fut invitée à une soirée de grande classe : un bal folk animé par le
quintette familial du Jocelyn Pettit Band.
Longues jambes gainées de sombre, robe courte
couleur groseille et boléro nuit, Jocelyn Pettit s’empara d’entrée de son
violon fétiche et, jouant des claquettes avec l’habileté d’une dancing girl
irlandaise, entraîna le public dans un rythme communicatif. Avec sa silhouette
semblable à l’algue légère ondulant dans le frais courant d’une rivière, elle
galvanisa les spectateurs qui bientôt formèrent sur le parquet une chaîne de danseurs
ravis.
Entourée de son papa Joel aux percussions, de sa
maman Siew Wan Khoo au piano et au violon, de Colm MacCárthaigh à la guitare et
d’Erik Musseau aux sifflets irlandais et autres uilleann pipes, Jocelyn révéla,
outre sa dextérité au violon, son talent à la podorythmie. Cette princesse de
la musique et du rythme, qui joue d’élégantes séries de compositions visitant
la sphère musicale du globe, a fait l’unanimité d’une salle conquise.
Originaire de la région de Vancouver, en Colombie-Britannique, elle interprète
volontiers des airs du monde entier tels que la valse norvégienne, les airs du
Pakistan ou ceux d’Amérique du Sud, ou bien encore les chants d’Alan Stivell,
grand prêtre des Celtes. Mais elle compose aussi de savoureuses pièces
musicales toutes empreintes de sa fraîcheur juvénile.
*
* *
Maryanne Côté : l’audace de la
jeunesse
23 ans et des promesses qu’il faudra confirmer |
Présentée comme la chanteuse émergente du Québec,
notamment dans le monde curieux des réseaux sociaux sur Internet, Maryanne
Côté, seule avec sa guitare, a fait preuve de beaucoup d’audace sur la scène
vernolienne, le dimanche 13 août. Avec un répertoire qui traduit la vitesse
trop rapide du temps qui passe, elle parle d’un vécu qu’elle n’a pas encore eu
le temps d’apprécier, et la jeune artiste, naviguant entre introspection et
nostalgie (déjà !), s’est laissée embarquer par des souvenirs rêvés
qu’elle s’efforça de conclure avec un humour bien personnel. Trop pressée sans
doute de se hisser en haut de l’affiche et de rejoindre le monde adulte et ses
problèmes, elle adopte un costume de scène désinvolte et dans l’air du temps.
Sa voix, pleine de charme, et son jeu de notes
subtiles mériteraient de prendre appui sur les richesses poétiques d’un Gilles
Vigneault ou d’un Félix Leclerc inoubliables. Le surlendemain, mardi 15 août, à
la Gueule d’Enfer, elle anima la grande brocante organisée par le quartier
Notre-Dame puis, en début de soirée, la jeune Maryanne retrouva la scène, dans
la nouvelle salle de Francheville inaugurée pour la circonstance.
*
Un trio de guitares
et Katerine Desrochers vers les sommets
Dimanche soir 13
août, à la salle des fêtes vernolienne, le jazz s’est invité avec la venue du
trio BBQ et de la chanteuse Katerine Desrochers, talentueuse interprète.
BBQ, autrement dit
les initiales de trois musiciens guitaristes virtuoses, Mathieu Beaudet,
Jean-Michel Bérubé et Vincent Quirion. Trois garçons talentueux pour
accompagner une chanteuse nourrie par la culture des beaux textes et des
musiques riches, joyeusement partagées. Avec, en trame, le jazz manouche et ses
rythmes à la Django Reinhardt. Ce quatuor, déjà venu en 2011 au silo de
Verneuil et apprécié à sa juste valeur, a offert une prestation de belle
qualité. Avec un répertoire soigné, Katerine Desrochers n’hésite pas à aller
chercher, jusqu’au fond des Yeux noirs de Django Reinhardt, Le P’tit bonheur de Félix Leclerc.
C’est elle encore
qui demandera au Soldat de plomb ses récits de champs de bataille, et elle toujours qui
chantera La Grande bleue après une exécution magistrale de La Chevauchée de Guillaume Tell par ses trois compagnons de
scène devant une salle enthousiaste.
Katerine Desrochers : une grande fille toute simple |
En communion avec ses partenaires du début à la fin |
*
* *
Annette
Campagne : une voix « papillon Amiral »
Annette Campagne dans son tour de chant |
La chanteuse accompagnée par Dave Lawlor, son mari, aux claviers |
Encore un groupe
familial. À croire que le chant est une affaire de famille chez nos amis
d’outre-Atlantique. Mais nul ne s’en plaindra tant le cru de cette année a
révélé de belles voix et des textes qui accrochent l’âme et le cœur.
Le lundi 14 août, la
salle des fêtes vernolienne a accueilli le trio d’Annette Campagne. Une
chanteuse toute simple et sans chichis. Accompagnée de sa jeune sœur Michelle à
la basse et de Dave Lawlor, son mari aux claviers, l’artiste a révélé toute la
gamme de sa voix magique, glissant avec générosité du folk mélodieux au rock
solide en passant par la pop music réactualisée et des airs passés de
génération en génération.
De son petit village
caché au fin fond du Saskatchewan, elle a rapporté des airs traditionnels revus
et rajeunis tels que l’histoire de Calamity Jane, chercheuse d’or et de cœurs,
ou l’évocation du pays de Claude Léveillé faisant écho à celui de l’admirable
Gilles Vigneault.
*
Les Tireux
d’Roches, ambassadeurs de la joie de vivre
Les Tireux d’Roches, le spectacle qu’il ne fallait pas manquer |
Portant dans leurs
veines le riche sang de leurs ancêtres débardeurs de troncs d’arbres qu’ils
faisaient voyager au fil des rivières, les Tireux d’Roches ont offert un
véritable feu d’artifice pour la dernière soirée présentée aux spectateurs de
la salle des fêtes vernolienne, le lundi 14 août. Une apothéose de joie partagée
et de bonheur répandu à un public totalement subjugué. Chose certaine, les
absents ont eu tort de se priver d’un tel spectacle bouillonnant de chaleur
humaine. À l’heure où, dans un monde déboussolé, des individus sans conscience
transforment nos simples joies en tragédies, ce groupe québécois a su en toute
simplicité offrir des heures de liesse sans arrière-pensée.
Les cinq garçons,
Denis Massé, Dominic Lemieux, Pascal Veillette, Luc Murphy et David Robert, ont
déployé toute leur énergie, chauffé la salle et brûlé les planches de leur
enthousiasme communicatif. Sur leurs traits, tels ceux de leur meneur, un
simple nez rouge aurait suffi pour transformer le visage en face de clown. Se
métamorphosant en conteur riche de bagout – et en musicien virtuose – il donna
l’exemple à ses amis, tous brillants de dextérité et d’entrain.
Histoires vécues,
instants de tous les jours truffés d’expressions savoureuses exprimées avec un
talent bon enfant firent passer au public conquis des heures d’enthousiasme et
riches d’amitié. Que le neuvième festival, l’an prochain, soit à l’image de
cette rencontre qui a définitivement trouvé sa raison d’être dans la vie
culturelle estivale de la ville, trop souvent dépouillée.
*
* *
Juste la fin du
monde :
un huis clos
magistral signé Xavier Dolan
Gaspard Ulliel, le héros du film |
Vincent Cassel et Gaspard Ulliel dans le huis clos d’une voiture |
Sorti en 2016 et
couronné par le Grand Prix du festival de Cannes et trois César (meilleur
réalisateur, meilleur acteur et meilleur montage), Juste la fin du monde est venu apporter une brillante
touche finale au 8ᵉ festival de la Vache et le Caribou, au cinéma Le
Trianon, le jeudi 17 août.
Habitué de cette
rencontre culturelle annuelle de la vallée d’Avre, Xavier Dolan, jeune prodige
canadien passionné de cinéma, compte déjà à son palmarès de belles réussites.
Mais son côté provocateur lui a aussi valu quelques critiques acerbes peu
souvent méritées. Avec cette dernière œuvre servie par une quinte d’acteurs
exceptionnels, Nathalie Baye, Marion Cotillard, Léa Seydoux, Gaspard Ulliel et
Vincent Cassel, il réussit une analyse merveilleusement filmée d’un huis clos
digne de Jean-Paul Sartre.
En s’attaquant au
retour-pèlerinage, dans sa famille, d’un homme encore jeune qui se sait
condamné par une mort prochaine, il dépeint, de façon magistrale, les rapports
conflictuels régnant parmi cette famille. Et toute la sarabande des non-dits –
de l’incompréhension à l’état brut – et des rancœurs inavouées entre les
membres de ce cercle familial explose dans un dialogue hésitant, prudent et
finalement cruel, une sorte de gangue qu’aucun personnage ne réussit à faire
sauter. Enfin lorsque, par pudeur rentrée autant que par violence non
maîtrisée, la séparation arrive, rien n’a été formulé, au point que chacun
repart avec ses convictions sans avoir révélé la vérité lovée au fond de son
être.
Filmée de près, les
yeux dans les yeux, cette histoire, qui pourrait n’être que banale, gagne avec
ses gros plans rapprochés toute la profondeur mystérieuse qui habite chaque
individu. Une réussite qui contribue au succès reconnu de ce cinéaste
passionné.